Le Château
Petit meurtre en famille chez le Duc de Choiseul
Au petit matin du 18 Août 1847, en pleine Monarchie de Juillet, une terrible nouvelle se répandit dans la capitale : un crime avait été commis durant la nuit chez le Duc de Choiseul-Praslin, Pair de France et conseiller du roi Louis-Philippe. Ce fut au N°55 rue du Faubourg Saint-Honoré, dans l'hôtel particulier du Maréchal Sébastiani, à Paris, que se déroula le drame. La résidence était occupée par la fille du Maréchal, la Duchesse Françoise Altarice Rosalba Sébastiani de Choiseul-Praslin (dite Fanny pour les intimes), et son époux le Duc Charles Laure Hugues Théobald de Choiseul-Praslin. Le couple et leurs 9 enfants étaient arrivés la veille, vers 9h du soir, avec l'intention de demeurer quelques jours seulement à Paris avant de retourner à la campagne. En prévision de ce départ prochain, le personnel de la maison avait donc reçu l’autorisation de prendre congé ce jour-là afin de rendre visite à leurs familles respectives.
Le soir du 17 Août, seuls deux domestiques étaient donc présents dans la maison. Vers 4h ou 5h du matin, l'un de ces serviteurs fut soudainement réveillé par une sonnette tirée de façon irrégulière dans la chambre de Madame la Duchesse. L'homme s'habilla en hâte et se précipita vers l'appartement de sa patronne. Arrivé devant la porte, il en tourna la poignée, mais une résistance anormale l'empêchait de l'ouvrir. Entendant de faibles gémissements provenant de l'intérieur et craignant que la Duchesse ne soit en train de se sentir mal, le domestique parvint à forcer l'entrée de la chambre.
La scène qu'il découvrit alors était macabre : la Duchesse gisait au sol dans une marre de sang, la gorge couverte de blessures, et respirait difficilement. Le mur derrière elle portait des traces de mains ensanglantées, de même que le cordon de la sonnette que la pauvre femme était parvenue à tirer pour donner l'alerte. Des meubles et des objets étaient renversés autour d'elle et des mèches de cheveux au sol laissaient suggérer qu'elle s'était énergiquement défendue contre son agresseur. Le domestique effaré appela bien évidement au secours. Le Duc, qui dormait dans l'appartement voisin (et oui à cette époque on faisait chambre à part), arriva alors sur les lieux du crime puis se précipita vers son épouse qu'il prit dans ses bras. Il donna l'ordre d'appeler en urgence le médecin mais malgré l'intervention de ce dernier, la malheureuse Duchesse succomba à ses blessures quelques heures plus tard. A 6h du matin, le Procureur général, le Procureur du roi et les juges d'instruction arrivèrent sur les lieux du crime pour démarrer leur enquête. Qui donc avait bien pu s'en prendre ainsi à cette noble dame respectée du beau-monde et épouse qui plus est d'un Pair de France ?
Vous vous en doutez sûrement, une telle nouvelle fit le bonheur des journaux parisiens qui, tout en s'écriant que l'affaire était atroce, ne manquèrent pas d'en raconter les moindres détails durant les jours et les semaines qui suivirent. Le premier jour de l'enquête, toute la maisonnée fut interrogée. Il fut alors décidé qu'à l'exception des enfants de la victime, toutes les autres personnes présentes la nuit du meurtre (autrement dit le Duc et les deux domestiques de garde ce soir-là) seraient gardées à vue dans l'hôtel Sébastiani où avait eu lieu le drame. Monsieur le Duc fut ainsi confiné dans sa chambre et les deux serviteurs dans deux autres pièces de la maison sans pouvoir communiquer entre eux. On commença d'abord par soupçonner qu'un rôdeur ou peut-être même un domestique ne soit responsable du meurtre. Le père de la victime, le Maréchal Sébastiani, étant corse, on envisagea même que le crime soit un acte politique. Mais rapidement, ces hypothèses furent abandonnées. L'examen réalisé sur le corps de Madame la Duchesse révéla qu'elle avait reçu pas moins de 30 coups de couteau au niveau de la gorge et de la poitrine ainsi que des coups provenant d'un objet contondant au visage. Elle avait également perdu un doigt à une main. En observant ces blessures, le préfet de police, M. Allard, eut l'intuition qu'il ne s'agissait pas d'un simple cambriolage qui aurait mal tourné. Et il avait bien raison.
En voyant les horribles blessures de l'infortunée Duchesse de Praslin, M. Allard a dit : "L'auteur de l'assassinat n'est pas un malfaiteur de profession, ces gens-là s'y prennent mieux". Extrait du journal L'Union Monarchique du 22 Août 1847
En réalité, plusieurs éléments mirent rapidement les enquêteurs sur une autre piste. Pour commencer, il n'y avait aucun signe d'effraction venant de l'extérieur de l'hôtel Sébastiani et rien n'avait été volé. En revanche, le couloir qui reliait la chambre de la Duchesse à celle du Duc était déverrouillé. Des tâches de sang furent d'ailleurs retrouvées dans ce couloir. Ensuite, si le lit du Duc était défait, signe qu'il y était bien couché lorsque le domestique donna l'alerte vers 4h du matin, il accourut sur les lieux du crime tout habillé, ce qui était pour le moins étrange. L'examen de ses vêtements révéla d'ailleurs plusieurs tâches de sang que le Duc expliqua par le fait qu'il avait pris son épouse dans ses bras en découvrant la scène. Enfin, on trouva un pistolet appartenant au Duc et dont les motifs de la crosse correspondaient aux blessures sur le visage de la Duchesse. Vous l'avez compris, plus le temps passait, plus il semblait que le meurtrier n'était autre que le Duc en personne ! Sauf qu'à l'époque, on n’arrête pas un Duc et Pair de France comme ça. Il fallait des preuves pour justifier un ordre d'arrestation provenant du roi et réunir la Chambre des Pairs. Or, l'arme du crime, le couteau, restait introuvable. Le préfet maintint donc le Duc en garde à vue dans une chambre pendant que l'on fouillait le reste de la maison. Les fosses d'aisances (comprenez les fosses des toilettes) furent vidées dans l'espoir d'y retrouver l'arme mais sans succès. En revanche, on finit par retrouver dans un tiroir de la chambre à coucher du Duc le manche d'un poignard dont la lame avait été brisée.
Les enquêteurs en étaient désormais persuadés, le Duc était bel et bien le meurtrier. Voici la reconstitution du crime qu'ils imaginèrent : le Duc s'était introduit dans la chambre de son épouse via le couloir communiquant entre leurs deux appartements. Pendant qu'elle dormait, il l'avait frappée d'un coup de couteau à la gorge. La malheureuse s'était réveillée et avait tentée de se défendre des coups qui suivirent en portant ses mains vers sa gorge. Elle avait ainsi perdu un doigt ce qui expliquait la main mutilée. Sous la violence des coups, la lame du poignard s'était brisée et, pris de rage, le Duc s'était alors saisit de son pistolet et avec la crosse il avait frappée sa victime toujours vivante au visage. Il partit, la Duchesse encore en vie mais mourante. En retournant dans sa chambre, il avait laissé des tâches de sang dans le couloir. Il s'était ensuite recouché pour se donner un alibi. La Duchesse de son côté était parvenue à se lever et après deux tentatives (les deux traces de main ensanglantées sur le mur) elle avait réussi à saisir le cordon de la sonnette qu'elle avait faiblement tiré pour donner l'alerte avant de s'effondrer au sol. La suite nous la connaissons. Mais pourquoi le Duc aurait-il commis un crime aussi atroce ? Il ne fallait pas compter sur lui pour l'expliquer. A partir du moment où il devint évident qu'il était désormais le principal (et unique) suspect des enquêteurs, Monsieur de Choiseul-Praslin ne prononça plus un mot.
Dès le lendemain du crime, on arrêta une autre personne : Madame Henriette Deluzy. Ancienne gouvernante des enfants du couple Choiseul-Praslin, elle était entrée au service de la famille en 1841 avant d'être sèchement renvoyée par Madame la Duchesse un mois à peine avant le crime. Suite à cette arrestation, des rumeurs commencèrent à se répandre dans les journaux : Monsieur de Choiseul-Praslin n'aurait pas toujours été fidèle à son épouse et Mme Deluzy aurait été la dernière de ses maîtresses. Qu'un homme marié ait une maîtresse n'avait rien de surprenant pour l'époque. En revanche, qu'il l'installe dans sa maison, lui confie la charge ainsi que la garde des enfants de sa femme légitime, cela était inacceptable. Selon les rumeurs, c'était pour cette raison que la Duchesse, excédée par ces humiliations, avait brutalement congédié la gouvernante en juin 1847. Furieux des actions de sa femme, le Duc aurait alors décidé de l'assassiner. Quant à Henriette, elle fut soupçonnée d'avoir eu une emprise sur le Duc et de l'avoir poussé au meurtre. Elle fut ainsi arrêtée et enfermée à la Conciergerie pour y être interrogée. De son côté, le Duc, toujours confiné dans une chambre de l'hôtel Sébastiani, était de plus en plus mal. Il refusait toujours de parler et de manger. On commença par croire que l'inquiétude d'être le principal suspect du meurtre de sa femme l'avait rendu malade. La Chambre des Pairs de France était d'ailleurs sur le point de se réunir pour le juger. Mais très vite, son état empira. On fit venir des médecins pour le guérir mais il était trop tard : le Duc avait en réalité ingéré une forte dose d'arsenic. Le 24 Août 1847, 6 jours après le meurtre de Fanny de Choiseul-Praslin, le Duc mourut à son tour dans d'atroces souffrances, niant toujours les accusations portées contre lui. Le principal suspect étant mort, le procès fut annulé. La pauvre Henriette fut néanmoins maintenue en confinement à la Conciergerie jusqu'au 17 Novembre 1847. Date à laquelle elle fut finalement relâchée pour manque de preuve. Elle n'apprît d'ailleurs la mort du Duc que trois semaines après les faits.
Quoiqu'il en soit, l'opinion publique s'empara de l'affaire. La Monarchie de Juillet avait déjà été ébranlée quelques mois plus tôt par deux affaires ayant impliqué des Pairs de France. Les opposants politiques utilisèrent donc ce crime pour dénoncer la corruption des moeurs dans la haute société et plus particulièrement dans l'entourage du roi Louis-Philippe. Le gouvernement fut même accusé d'avoir fourni le poison au Duc pour lui éviter le procès et ainsi le soustraire à la justice. On raconta aussi que le Duc n'était pas vraiment mort mais qu'en réalité il avait été exfiltré vers le Nicaragua pour y mourir en 1882 soit 35 ans plus tard. Loin des rumeurs, la réalité de l'affaire du meurtre de la Duchesse était plus complexe qu'on ne l'imagina à l'époque.
"Fanny Sébastiani fut outrageusement gâtée par une aïeule qui la considérait comme la huitième merveille du monde... " Luciana Clevering
Nous savons aujourd'hui que Fanny Sébastiani, fille unique du Maréchal Sébastiani, fut élevée dans le luxe et la profusion par sa grand-mère. Ses amies d'enfance, la décrivait comme étant belle mais capricieuse, emportée et sujette à de brusques changement d'humeur. Son père qui ne lui refusait jamais rien, l'avait promise au fils du Duc de Fitz-James. Cependant, lors d'un voyage avec sa grand-mère, elle visita le château de Vaux-le-Vicomte qui appartenait à la famille des Choiseul-Praslin. Elle fut immédiatement conquise par cette splendide demeure qui avait autrefois poussé Louis XIV à construire Versailles. Par la suite, lors d'un bal, elle repéra le jeune Théobald de Choiseul, futur Duc de Choiseul-Praslin (son père étant encore vivant, il n'était encore que Marquis de Praslin). Il semblerait alors qu'elle ait fait le pari avec ses amies de l'épouser et ainsi devenir la future maîtresse de Vaux-le-Vicomte. Un pari qu'elle gagna puisqu'elle parvint à convaincre son père de l'intérêt de cette union. De son côté, le Duc de Choiseul, père de Théobald, n'y vit pas non plus d'inconvénient car la dot de Fanny bien garnie et lui permettrait l'entretien et les réparations du château de Vaux-le-Vicomte.
Le 18 Octobre 1824, les jeunes gens furent donc mariés. On les disait très amoureux l'un de l'autre et ils eurent ainsi 10 enfants en 15 ans dont 9 survécurent. Mais après sa dixième grossesse, Fanny, que Victor Hugo décrivait déjà en 1830 comme étant "belle et grasse", devint obèse jusqu'à peser plus 100kg à sa mort. Son mari commença alors à délaisser le lit conjugal. Elle le vécu très mal. Ses sautes d'humeurs s'amplifièrent, de même que sa jalousie. Le Duc la décrivait désormais dans sa correspondance comme colérique, ne supportant plus la moindre frustration. Si lui, s'épanouissait en élevant ses enfants, elle éprouvait quant à elle une véritable obsession pour son époux. Elle lui écrivait de nombreuses lettres lui vouant son amour, s'excusant de ses violences verbales, lui promettant de corriger ses défauts et l'appelant "le meilleur des hommes". Lettres auxquelles il ne répondit jamais.
"Eh bien ! tout me coûte, m'attriste, me pèse, me déplaît, parce que je suis mal avec toi et pour toujours, je commence à le craindre, à moins que tu n'aies pitié de moi. Je suis dans un état trop violent pour qu'il puisse durer : oh ! je tacherai de me calmer, mais si tu savais ce que je souffre, tu m'en voudrais moins." (Lettre de Fanny à son époux datant d'avant le 1er Mai 1841).
Plus son mari la fuyait, plus elle le poursuivait. Plus elle le poursuivait, plus il s'enfermait dans le silence et la froideur à son égard. Si l'on sait aujourd'hui qu'il eut quelques maîtresses à partir de 1839, rien ne prouve qu'Henriette Deluzy fut l'une d'entre elle. La relation du couple continua ainsi de se dégrader jusqu'à cette triste nuit d'août 1847. On pourrait voir dans cette histoire tragique un simple drame conjugal du XIXe siècle mais, comme nous l'avons vu plus haut, les politiciens républicains s'emparèrent de l'affaire pour nuire au gouvernement du roi Louis-Philippe. Six mois après ces faits, la révolution de 1848 éclata et le roi fut contraint d'abdiquer. C'était le début de la IIe République française.
Auteurs
- Océane Gronek, médiatrice culturelle en charge de la muséographie
Sources bibliographiques
Ces faits sont rapportés par le journal L'Union Monarchique du 19 Août 1847, BNF, p.2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k20722849/f2.item.zoom.
Ces faits sont rapportés par le journal L'Union Monarchique du 22 Août 1847, BNF, p.2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2072287j/f2.item.zoom.
Luciana Clevering, L'Affaire Praslin : un crime sous la monarchie de juillet, L'Harmattan, Paris, 2014.
Anne Martin-Fugier, La nymphomane vertueuse, Fayard, 2009.
Assassinat de Madame la Duchesse de Choiseul-Praslin : Lettre et pièces authentiques publiées par la Cour des Pairs, Leipzig, 1847.
POUR ALLER PLUS LOIN
Une étrange coïncidence fit que la même année que ces terribles évènements, Charlotte Brontë publia son chef d’oeuvre Jane Eyre. Il y est aussi question d'un riche époux, de sa femme instable et d'une jeune gouvernante. Toutefois, l'histoire des Choiseul-Praslin se termina de façon bien plus dramatique que pour les héros du roman. Le meurtre de la duchesse inspira d'ailleurs de nombreux auteurs comme Rachel Field qui publia en 1938 All Star and Heaven Too (adapté plusieurs fois à la télévision) ou encore Marjorie Bowen et son roman Forget Me Not de 1932.